Maïa était tranquillement rentrée chez elle, sans se presser. En fermant la porte de son appartement sombre et froid derrière elle, elle avait eu un frisson. Elle ne prit pas la peine d'allumer les lumières et s'avança jusqu'à un coin du salon, où elle se blottit. C'était le seul endroit qu'elle avait trouvé duquel elle pouvait voir la lune. Les yeux illuminés par ce croissant blanchâtre, elle ramena ses genoux à elle et les entoura de ses bras.
- Je déteste tellement cet endroit..
Elle jeta un regard aux alentours et entendit de nouveau les insultes que se lançaient ses voisins, mari et femme depuis à peine deux ans, déjà proches du divorce. Et dire qu'avant, elle entendait leurs rires, leurs discutions joviales et elle pouvait constater leur bonheur.. Tout était passé si vite, tout s'était dégradé à une vitesse affolante.
C'est en tournant son regard vers le mur qu'elle vit la gigantesque photo qu'elle avait accrochée à une sorte de mur en mousse. Déchirée et trouée de toute part, l'image représentait le plus grand homme d'affaire de tout le pays. Son père. Son horrible père. Elle l'avait rué de coups de couteau et avait passé de nombreuses soirées à se défouler dessus quand elle était plus jeune, quand elle était ignorante et en pleine crise d'adolescence. Elle gardait ce poster dévasté pour se rappeler à quel point elle le détestait, à quel point elle avait pu le détester, à quel point elle avait muri pour être capable de le regarder sans le ruer de coups.
Mais tout ça n'avait plus d'importance. Elle n'avait plus de famille depuis l'accident. Depuis qu'elle avait vu la chose atroce qu'elle avait fait à son adorable petit-frère, qu'elle l'avait sali et complètement marqué à vie. Elle avait été la cause de ses nombreux cauchemars, de ses pleurs, de ses peurs. Il l'avait toujours crainte, sa mère l'avait finalement reniée, son père l'avait battue, et elle avait finit par être complètement chassée par sa propre famille. Elle avait tremblé, faible et impuissante dans la rue, incapable de pleurer. On l'avait trouvé, on avait pris soin d'elle, on l'avait aimée. Des sans-abris l'avaient accueillie et élevée avec plus de chaleur que ses véritables parents. Et, en échange, elle les avait tués. Mais même si elle leur avait fait mal au point de leur donner le repos éternel, ils ne l'avaient pas détestée. Ils lui avaient dit : « Prends soin de toi ».
Elle n'avait jamais pris en compte ces paroles. Elle ne le méritait pas. Elle avait peur. Elle était juste horriblement effrayée par elle-même. Parce qu'après tout, ce monstre était une part d'elle. S'il n'avait jamais été là, elle aurait été une sage fille de bonne famille, mariée à seize ans et déjà mère à son âge. Elle serait riche au point de ne plus savoir quoi en faire, elle serait pourrie gâtée et complètement chouchoutée par son père qui l'avait tellement, tellement adorée. Jusqu'à ce qu'elle ne leur montre une autre facette que celle de la mignonne petite fille qu'elle était. Jusqu'à ce qu'elle ne leur montre le vrai elle. Et elle avait été reniée. Mais ça n'était pas plus mal, elle l'acceptait. Elle ne souhaitait pas être la fille qu'elle avait décrite plus tôt. Elle voulait la liberté. Et elle l'avait. Mais si elle s'en prenait à quelqu'un à nouveau ? Que ferait-elle alors ?